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Photo du rédacteurCatherine Hargreaves

Londres - 2/11

Dernière mise à jour : 7 janv. 2022

Grand bonheur d'arriver à Londres.



Quand Rachel est morte, je me rappelle que Tim Crouch que j'avais invité à Lyon quelques temps après m'avait dit : "tu dois avoir l'impression que c'est une partie de toi qu'on arrachée". Peut-être une banalité pour certain.e.s mais il y avait là une grande justesse et peut-être que ces mots dits me frappèrent d'autant plus qu'ils étaient dit en anglais, peut-être était-ce la première personne anglaise hors de la famille qui me parlait de la mort de RAchel. RAchel est bien une personne complètement distincte de moi mais j'imagine que j'étais encore à l'époque dans un mode de pensée où les frontières, toutes sortes de frontières, ont une réalité. Nombreux.ses sont celles et ceux qui tentent de combattre cette illusion comme Virginie Despentes qui dit qu'on est sans cesse traversé.e.s par la réalité de l'autre. Oui, c'était ça, mon monde semblait avoir perdu une partie de son sens, de sa logique, un monde sans RAchel, sans sa personnalité ne me semblait pas viable, tristesse mise à part, j'en ai perdu le sommeil pendant longtemps. J'imagine que chaque personne traverse ce genre d'amputation quand elle perd un être cher mais je me demande aussi si ce que RAchel représentait également de par sa trisomie joue un rôle dans cette amputation. Comme si la proximité avec l'handicap que certains appellent différence - ce que je trouve un problème - , était une caractéristique essentielle de mon monde, une caractéristique rassurante. Vivre sans cette proximité-là, intime, me semblait dénaturer mon monde, le monde.



C'est à ça que je pensais en marchant dans les rues de Londres. Alors il n'y a aucune comparaison à faire, ma pensée fonctionne ici uniquement par association mais je me disais qu'il y a ces fortes impressions de retrouver un petit peu de moi ici, une partie de moi, en veilleuse quand je suis en France. C'est comme si je devais toujours vivre sans un ailleurs faisant profondément partie de moi. Ce sont des odeurs, des couleurs, des petites choses ici et là qui n'existent pas en France. Bonheur oui, de revoir la signalétique, les couleurs, les enseignes des magasins dont j'ai toujours adoré le graphisme, certains produits alimentaires. Il y a tous ces petits détails, souvent complètement insignifiants, posés ici et là comme des petites bombes. Toutes ces singularités qui semblent me dire que je suis ici véritablement ailleurs et pourtant complètement chez moi. D'où vient le fait que ces singularités m'explosent à la gueule plus que dans un autre pays et me fait croire que ce pays est différent des autres? Cette illusion vient sûrement du fait que ces singularités font réellement partie de moi, mais en en étant privée dans ma vie quotidienne, en étant déshabituée, je les remarque d'autant plus. Reconnaissance.

(Et si tout ce qu'on appelle différent faisait en fait partie de nous, si on le reconnaissait, on serait follement joyeux-ses à chaque fois qu'on croiserait ces "différences" non?)

J'envoie des photos de mes balades dans les rues de Londres à ma sœur Rebecca et à ma mère. Elles m'envient, l'Angleterre leur manque, on s'appelle plusieurs fois dans la journée, je leur raconte, l'excitation et la joie sont présentes. Re-connaissance.

Détails de Londres, Brighton, Sheffield et Bristol


Et pourtant...

oui, je reconnais fortement toutes ces singularités mais la distance entre elles et moi est d'autant plus présente aussi. Je ne me sens pas tout à fait légitime ici, j'ai l'impression d'être une imposture. Je vois assez rapidement dans le regard interrogateur des autres que je n'appartiens pas tout à fait à leur monde. C'est que mon accent dit que je le suis et pourtant je suis comme décalée par rapport à eux et puis faut le dire je ne comprends pas tout, je comprends les mots bien-sûr mais je n'ai pas les tics de langage, les dernières expressions, je ne sais pas comment tout fonctionne pour la moindre démarche, certaines blagues me passent carrément au dessus, d'ailleurs je ne me rends pas toujours compte que des blagues sont faites et puis je n'ai pas non plus l'habitude de tenir des conversations poussées ce qui fait qu'il m'arrive de me sentir limitée intellectuellement sans compter le regard interrogateur de mes interlocuteurs qui semblent parfois me trouver un peu bizarre. A stranger in a strange land. La conscience de tout ça me rend assez timide et peu sûre de moi si bien que je démine et j'annonce parfois tout de suite la couleur:

I'm English but I've always lived in France, I was born there so maybe I'm more French than English!




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