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  • Photo du rédacteurCatherine Hargreaves

MAY DAY ROOMS - 4/11

Dernière mise à jour : 7 janv. 2022

‘In every epoch, the attempt must be made to deliver tradition anew’

Walter Benjamin





Sur les conseils de A. je me rends aux MayDay Rooms, qui s'auto-décrit comme "safe haven for social movements, experimental and marginal cultures and their histories".

L'accueil est vraiment chaleureux. Je ne savais pas qu'il fallait prendre rdv mais ils me proposent de rester quand même. Une femme m'explique qu'une grosse partie de leur travail c'est de repérer les mouvements de lutte existants et d'aller les voir pour leur raconter l'histoire de ce qui existait avant leur mouvement ou tout ce qui semblait y être lié. Cette histoire, qu'on pourrait nommer histoire de la radicalité ou histoire "d'en bas", n'est pas racontée dans le mainstream et est souvent directement liée à l'histoire locale. La connaître ouvre les yeux, donne de la force car la sensation d'isolement dans le combat s'atténue et fait gagner du temps. C'est un peu facile d'écrire ça mais oui, retourner dans le temps fait souvent gagner du temps.

Me retrouver ici au tout début de ma résidence me semble un très bon début puisque l'une des raisons pour laquelle je suis ici c'est que je veux apprendre à connaître l'Angleterre autrement qu'à travers ma famille ou les infos mainstreams et autrement qu'à travers l'écrit (théorie et presse). Une autre raison c'est que je veux me concentrer sur ce qui résiste et ce qui émerge, je crois que c'est quand j'ai dit ça à A. qu'elle m' a direct parlé des MayDay Rooms. Je demande à F. qui m'accueille comment vont les choses depuis 5 ans. Elle me dit que c'est de plus en plus dur et que la COVID a fait énormément de dégâts non seulement aux plus pauvres mais aux mouvements, eux-même en ont pâti personnellement aux MayDay Rooms. Et puis elle parle du droit de manifester (cf Kill the bill) et me dit que certains de leurs collaborateurs proches sont en ce moment même au poste. Les activistes en lien avec les MDR sont touchés de plein fouet par cette atteinte à un droit fondamental. Mais l'activité reprend quand même me dit-elle, ils n'abandonnent pas.

Suite aux discussions avec A. la veille, je demande à regarder des choses sur la crise du logement. Et depuis les trois jours que je suis ici à Londres, la gentrification m'explose à la gueule, je veux dire que les Hackney, Dalston et Stoke Newington que je connais ont énormément changé. Et je suis sans doute influencée par les recherches d'Adèle ces derniers temps sur l'histoire de l'architecture et ce qui se passe en France dernièrement vis à vis des squats, comment les roms par exemple s'en sont pris plein la gueule pendant les confinements, les flics en ont profité pour faire des expulsions illégales à tour de bras. Je lui demande aussi si il y a des choses qui parlent de l'Europe plus particulièrement, c'est vague mais il faut bien commencer quelque part, et puis ce qui m'intéresse pendant ce séjour c'est la rencontre, voir comment les anglais.e.s répondent au thème de l'Europe, quelles connexions se font naturellement plutôt que d'imposer des directions précises depuis le début. Sinon je vais me retrouver en terrain connu et c'est bien ça que je veux éviter même si le risque est de se retrouver au final dans un bain trop généraliste ou alors avec beaucoup trop de matière.

Je me retrouve avec une boîte nommée "squatting" et une autre nommée "Dissenting Ephemera (black struggle)".

A l'ère du numérique, c'est toujours une grande émotion d'ouvrir ces boîtes d'histoire et de tenir dans ses mains les différents documents qui y sont. Aujourd'hui une grande partie des mouvements utilisent des vidéos ou les réseaux sociaux pour communiquer, à quoi ressembleront nos archives futures et surtout à quoi ressembleront les archives de tout ce qui est aujourd'hui dans la marge? Et puis savoir que la petite publication qu'on tient dans les mains y est à sa hauteur pour quelque chose dans les victoires d'aujourd'hui, ça n'est pas rien. C'est un peu comme si en tenant ces documents qui nous mettent en lien direct avec les premier.e.s concerné.e.s par les luttes (sans le filtre de l'actualité mainstream ou de la théorie), on ressentait l'énergie et l'enthousiasme qui les ont nourri. Ca donne envie de rejoindre les assos de lutte et de s'y remettre. Ca pourrait déprimer de voir que les luttes concernées n'ont pas perdu de leur actualité mais au contraire, ça fait encore plus prendre conscience de la préciosité des victoires qui ont eu lieu.


Une des premières choses que je lis me fait penser aux Sans-rois sur lesquels a écrit Pacôme Thiellement, c'est un journal sur le squatting qui dit que les premiers mouvements de squatters remontent au Moyen-âge. Les Diggers ou True Levellers vivaient selon des principes anarchistes, en communauté et croyaient au partage du travail et de la propriété. Une figure connue de ce mouvement était Gerrard Winstanley. lls étaient pacifistes et n'opposaient aucune résistance à la violence qui leur était souvent infligée ( destructions de leurs cultures, et violences physiques). Ils ont vite été qualifiés de secte socialiste. Le journal anarchiste dit qu'à cause de leur non réaction à la violence qu'ils enduraient, ils se déplaçaient de terres en terres puis ont vite disparu mais ils ont su montrer qu'il pouvait exister une alternative à l'inégalité et au vol du capitalisme naissant.

Je me rends compte que je suis toujours heureuse de découvrir dans le passé des mouvements qui ressemblent à nos luttes actuelles, il doit y avoir chez moi ce vieux mythe enfantin et naïf qui persiste et qui consiste à croire que les conditions avant étaient trop dures pour que les gens s'unissent et pensent aux communs ou s'auto-organisent. Ca me fait penser aux documentaires de Patrick Keiller, une de mes principales inspirations pour cette résidence, observer le paysage et y traquer les traces de notre histoire pour comprendre aujourd'hui et le futur.

Saint George's Hill au Sud-Ouest de Londres dans le Surrey, est l'un des endroits les plus connus que les Diggers aient squattés. Aujourd'hui c'est un des secteurs les plus huppés et les plus chers de l'Angleterre où vivent bon nombre de courtiers...

Je lis aussi que les Diggers ont inspiré les Quakers qui sont nombreux chez Exctinction Rebellion ou dans la lutte pour le climat...


Je passe du temps sur les luttes qui se sont concentrées dans les quartiers que je fréquentais avec ma famille (Hackney), je constate une fois de plus que les anarchistes (cf résidence en Argentine et spectacle Autonomie la défaite!) n'ont pas attendu les politiques pour créer une communauté européenne ou internationale. A la radio, Tiago Rodrigues disait qu'il y avait deux Europes, l'administrative nécessaire mais pourrie par l'entre soi et celle des cafés, des théâtres, des lieux de culture. Il faudrait y rajouter celle des mouvements de lutte. Cette Europe-là est belle et forte et on voit à quel point elle vibre et est vivante dans les grands rassemblements comme à Bure pare exemple (je tombe sur un petit extrait sur Bure dans Crowbar d'ailleurs).



Au fur et à mesure de mes lectures, je comprends (mais il faudrait que je passe du temps à vérifier tout ça plus sérieusement) que le mouvement des squatteurs, très fort dans les années punk (et leur graphisme qui déchire) soutenu par la gauche se fait progressivement abandonner par les politiques, se rallie à une lutte plus large "anti-capitaliste" et environnemental mais en 2008 la crise économique puis plus tard la solidarité envers les migrant.e.s ramène le squatting en première place des préoccupations si bien qu'en 2012 celui-ci est déclaré illégal par le gouvernement...

Il y a quand même eu pendant tout ce temps des tentatives menées par des activistes de longue haleine comme ARCH en 1996 à Hackney, un squat très important pour la solidarité envers les réfugié.e.s. Et puis il y a aussi les squats artistiques qui peuvent être vus à leur début comme une lutte contre la gentrification mais qui finissent par être problématiques...Penser par exemple à ce qui se passe à Saint-Denis où certains squats artistiques sont en fait créés et soutenus par des promoteurs immobiliers qui souhaitent la gentrification au final.(Il ne s'agit pas de rentrer dans une condamnation totale de ces squats je crois, les artistes peuvent y faire des choses formidables et avoir la possibilité d'avoir des locaux pour le faire).


En lisant ces documents, je pense aussi très fort à Small Axe, la sublime série de Steve McQueen - qui parle de la communauté antillaise à Londres dans les années 60,70,80 (bande son de folie) et montre le chemin incroyable parcouru par elle. Ce qui me fait penser qu'en regardant cette série, la violence de la police anglaise de ces années renvoie à la violence de la police française actuelle. Ne tombons pas dans les généralités mais je crois à l'existence d'une violence systémique encore présente en France et je crois qu'en Angleterre, elle est toujours là mais le travail pour la détruire a je crois, déjà porté ses fruits. Je pensais aussi à ça tout à l'heure en marchant dans la rue en remarquant à quel point mon œil s'était habitué à Paris et à Lyon à voir des policier.e.s partout, des militaires armé.e.s alors qu'ici c'est beaucoup plus rare.





Je suis obligée de partir beaucoup trop tôt en espérant pouvoir revenir bientôt. Depuis 4 jours que je suis ici, je vois les signes de l'énorme crise du logement qui frappe l'Angleterre partout, je me dis qu'il y a peut-être un lien avec le Brexit, j'aimerais lire plus ici sur l'évolution de cette crise depuis les années 70. Je me rends compte aussi que mon cerveau est foutu de telle manière qu'il pense toujours sur deux modes qu'il compare, je pense à la police française en comparaison à l'anglaise, je pense à la crise du logement à Londres et tout de suite je fais le lien avec la tentative non réussie d'encadrer les loyers à Paris et en région parisienne à laquelle m'ont sensibilisée les anarchistes de Saint-Denis que je fréquente grâce à l'épicerie sans-profit à laquelle je suis inscrite.


Bref je n'arrive pas à séparer les deux pays. Forcément dans mon univers ils sont liés, il n'y pas de frontières, pas de barrage à traverser pour passer de l'un à l'autre.













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C. est d'origine nigériane et aime aussi beaucoup Bristol. Il aime son cosmopolitisme et la gentillesse de ses habitant.e.s. Il habitait avant à Cardiff et il trouve que les gens ici sont plus "éduqué

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